L'ADN environnemental (ADNe) représente une avancée majeure dans le domaine de l'étude et de la conservation de la biodiversité. Cette technique innovante permet d'identifier des espèces à partir de traces d'ADN qu'elles laissent dans leur environnement, offrant ainsi une méthode non invasive et particulièrement efficace pour inventorier la faune et la flore, même dans les milieux les plus inaccessibles ou pour les espèces les plus insaisissables. L'ADNe contribue à une compréhension plus fine et à une meilleure gestion de nos patrimoines naturels.

Géographe de formation, Pierre Jorcin s’est spécialisé dans la cartographie de niches écologiques et la gestion de données sur la biodiversité. Il a œuvré dans la conservation des ressources en eau, et a participé à des projets de développement particulièrement en Inde et en Malaisie. Chez Spygen, Pierre Jorcin pilote les transferts de technologies et accompagne désormais des entreprises et des organismes de conservation dans des programmes à grande échelle d’évaluation des ressources. Rencontre avec Pierre Jorcin
Quelle est la vocation de Spygen?
Spygen est une entreprise scientifique fondée en 2011 qui contribue à l’amélioration des connaissances sur le suivi de la biodiversité grâce à l’ADN environnemental (ADNe). L’ADNe est une méthode d’inventaire proposée pour la surveillance régulière, le suivi à long terme d’espèces protégées, ou des suivis ponctuels, notamment sur des projets d’infrastructures. Grâce à l’ADNe, Spygen apporte des connaissances d’inventaire de biodiversité pour des études d’impact, des études écologiques, et pour enrichir les connaissances. Cette technologie offre des techniques très standardisées et des données numériques d’une grande fiabilité. Pionnière dans ce domaine, l’expertise de Spygen a été développée avec le soutien actif de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) en France et d’autres universités.
Comment Spygen utilise la méthodologie ADNe ?
L’ADN environnemental (ADNe) permet d’identifier des espèces qui sont parfois difficiles à observer par d’autres moyens, ou qui nécessitent l’intervention d’experts naturalistes sur le terrain. L’ADNe est une méthode d’inventaire basée sur la recherche de fragments d’ADN d’espèces dans les milieux naturels. Cette méthodologie permet d’identifier des espèces cryptiques, élusives, rares ou difficiles à observer. Il peut s’agir d’espèces dont les habitats sont difficilement accessibles, d’espèces qui ne se montrent pas ou qui sont trop petites, ou difficiles à capturer avec d’autres méthodes d’observation. De plus, l’ADNe peut cibler différents groupes taxonomiques à partir d’un seul échantillon prélevé, offrant ainsi des inventaires globaux de biodiversité.
« L’ADNe est une méthode d’inventaire basée sur la recherche de fragments d’ADN d’espèces dans les milieux naturels. »
Spygen intervient fréquemment en milieu aquatique, l’eau étant un excellent vecteur pour récolter des molécules d’ADN disséminées par les êtres vivants dans le milieu, bien plus intégrateur que le sol. Avec un seul échantillon collecté dans une rivière, un cours d’eau ou un lac, il est possible de réaliser un inventaire exhaustif des amphibiens, des mammifères, des poissons et des vertébrés, voire d’offrir une vue globale sur l’ensemble des eucaryotes (qui rassemblent tous les règnes vivants dotés de noyaux cellulaires), et donnant un aperçu de la biodiversité globale. Cependant, on n’obtient pas toujours une résolution au niveau de l’espèce pure, contrairement aux méthodes naturalistes traditionnelles. Cette approche se rapproche des méthodes de laboratoire utilisées pour étudier les bactéries dans le sol. Avec l’ADN environnemental, on obtient des inventaires aussi exhaustifs que possible. Bien sûr, il y a toujours d’autres facteurs naturels à considérer. L’ADN environnemental reste sujet au milieu naturel étudié et au contexte. Cependant, les données collectées permettent une analyse fine, rendant possible des comparaisons soit avec différents espaces géographiques, soit avec différentes périodes de temps.
Les gestionnaires d’espaces naturels ou de cours d’eau sont les premiers à bénéficier des avantages indéniables de l’ADNe pour des sujets de conservation ou de gestion. En réalisant un inventaire à intervalles réguliers au même endroit, par exemple tous les six mois ou tous les ans, les gestionnaires peuvent observer les évolutions pour chaque catégorie d’espèces. Ces informations sont précieuses pour les aider dans leur travail de gestion de leur territoire et de développement de projets de conservation ou de réhabilitation. Sur le long terme, les données collectées permettent d’observer les changements tangibles sur le terrain, qu’ils soient positifs ou négatifs. Par exemple, on peut se demander si une recolonisation des espèces aura lieu à un certain endroit ou si des évolutions concrètes liées aux pratiques vertueuses mises en place peuvent être observées. Ce type d’outils standardisés permet de mesurer ces changements. D’année en année, avec un protocole inchangé, les professionnels observent l’évolution de la présence d’une espèce sur un site, ou l’apparition d’espèces rares ou invasives. L’ADNe permet également l’étude et le suivi des espèces migratrices dans les fleuves.
Le guide d’utilisation de l’ADN environnemental édité par le consortium Vigilife détaille la méthologie d’utilisation de l’ADN environnemental (ADNe) en milieu marin. Il s’agit d’une ressource accessible et opérationnelle pour ceux qui aspirent à mieux connaître cet outil.
Il peut être téléchargé ici : https://www.vigilife.org/wp-content/uploads/guide-milieu-marin-bd.pdf

La méthodologie varie-t-elle en fonction des milieux analysés ?
Dans un milieu aquatique fermé de type mare, les fragments d’ADN peuvent être conservés jusqu’à 15 jours, avec une dégradation progressive. Cela signifie qu’on peut détecter l’ADN d’une espèce pendant une dizaine de jours après le passage d’un individu. Dans un milieu où il y a de la dispersion, comme dans le cas d’une rivière, Spygen capte des volumes d’eau importants, de l’ordre de 30 litres , vs 2 litres pour des méthodes conventionnelles, augmentant très significativement les probabilités de capter les traces d’ADN des espèces qui évoluent dans ce milieu. Multiplier les échantillons avec cette méthode très « intégrative » permet d’avoir une grille de collecte très fine des ADN présents dans cet environnement.
Quelles sont les bénéfices de l’ADNe pour réaliser un inventaire biodiversité, et ses limites ?
Si l’ADN environnemental se diffuse dans de nombreux centres de recherche à travers le monde, les savoir-faire et les protocoles d’échantillonnage optimaux pour le mettre en œuvre peuvent varier. Appliquer un protocole rigoureux est décisif pour obtenir des résultats exploitables. Des salles avec pression différentielle, couplées à un haut niveau de protection des opérateurs, sont nécessaires pour éviter toute contamination lors de la phase de laboratoire. La méthode d’amplification PCR, basée sur un savoir-faire lié au séquençage et à la bio-informatique, exige des hauts niveaux d’expertise scientifique. Il y a deux principaux risques à maîtriser. Il y a tout d’abord la génération de résultats « faux négatifs », c’est-à-dire le cas où une espèce n’a pas été identifiée alors qu’elle est bien présente dans le milieu analysé. Il y a aussi la génération de résultats « faux positifs », qui confirment la présence d’espèces absentes dans la réalité. Bien sûr, les faux positifs sont les plus redoutés, ils doivent être exclus à tout prix des campagnes d’étude.
La maîtrise du séquençage, la gestion de bases de données bio-informatiques, l’expertise pointue et le haut niveau de rigueur sont impératifs pour que la méthode ait une valeur scientifique. Spygen a publié une centaine de travaux de recherche, soit avec ses chercheurs en interne exclusivement, soit en collaboration avec des laboratoires universitaires. Cette recherche active atteste d’une certaine légitimité.
Avec l’ADN environnemental, des inventaires globaux sont menés. L’ADNe facilite le déploiement de la recherche et des observations, car il n’est pas nécessaire de mobiliser des experts sur le terrain, ce qui peut être lourd à mettre en œuvre, notamment dans les milieux marins. L’ADNe constitue une alternative pertinente aux méthodes naturalistes traditionnelles pour l’analyse de la faune aquatique, évitant ainsi la capture de spécimens vivants.
Comment garantir la pertinence des indicateurs de biodiversité ?
En réalité, il n’existe pas d’indicateurs magiques en matière de biodiversité. Concevoir un indice de biodiversité s’avère intrinsèquement complexe. Les chercheurs et les écologues qui collaborent avec nous nous rappellent constamment l’importance de nous rapprocher autant que possible des données brutes collectées. Les indicateurs de type « alpha-diversité » sont des analyses statistiques basées sur ces résultats. Globalement, notre objectif est de déterminer le nombre d’espèces listées par l’IUCN identifiées sur chaque site à partir de données brutes issues du terrain. Pour établir des statistiques fiables, une masse de données très importante est nécessaire. Attribuer un score de biodiversité à un site n’a pas de sens. Juxtaposer et comparer des mesures de biodiversité issues de la vallée du Rhône, des plaines de la Somme ou de l’Amazonie avec un indicateur sur une échelle de 1 à 10 n’aurait aucun sens. On ne mesure pas le vivant avec des KPIs. Avec l’ADNe, Spygen propose d’établir un suivi sur plusieurs années pour un site, à partir d’un état initial mesuré selon un procédé scientifique standard référent. Traduire ces informations simplement à travers une série de données simplifiées reste un défi majeur.
A qui appartiennent les données collectées lors des campagnes ?
Il existe plusieurs échelles de données. Il y a des données propres à Spygen, des données globales partagées avec d’autres instituts, et des données publiques. Dans la mesure du possible, Spygen vise à publier les résultats pour les rendre publics. Les données sont destinées à être partagées, bien que cela puisse être soumis à certaines restrictions liées aux contextes de chaque mission.
Les crédits biodiversité constituent-ils une démarche pertinente ?
Le sujet des crédits biodiversité a émergé lors de la COP16 à Cali, en Colombie, en octobre dernier. Pour le moment, il cible principalement les hotspots de biodiversité comme le Pérou ou la Colombie, où des projets sont en cours avec des crédits biodiversité, utilisant notamment des méthodes par piège photographique pour déterminer si une espèce est toujours présente sur un territoire. Si l’espèce est effectivement observée sur le site, des crédits biodiversité peuvent alors être accordés. L’inventaire se fait principalement à travers la méthode d’observation. La mécanique des crédits biodiversité reste embryonnaire et délicate à manipuler. En effet, il convient d’être vigilant lors de la création d’une relation entre finance et biodiversité, ainsi que pour l’instauration d’une valorisation des habitats d’espèces sauvages ou des espaces à protéger, etc. Dans tous les cas, le choix de la méthode d’inventaire utilisée pour identifier les espèces vivant sur un territoire se pose. En priorité, Spygen doit rester concentrée sur cette question technique et scientifique.
Avec quels profils de clients travaillez vous ?
Spygen collabore avec un large éventail d’acteurs, tant publics que privés, notamment des collectivités, des fédérations de pêche, des agences de l’eau, des bureaux d’études, ainsi que des porteurs de projets en infrastructure pour des études d’impact ou des études écologiques. Spygen intervient également avec des fondations et des ONG qui œuvrent pour la conservation des espaces naturels. Enfin, des collaborations sont engagées avec des universités sur des programmes de protection d’espèces particulières.
Qu’est-ce qui vous donne confiance aujourd’hui sur le sujet de la biodiversité ?
Le nombre croissant de demandes entrantes me donne confiance. Clairement, la pression réglementaire, notamment issue de l’Europe, va dans le bon sens, même si on constate qu’elle est fragilisée en ce moment. Le thème de la biodiversité semble entrer dans les débats à tous les niveaux de la société, et pourrait bientôt doubler le grand sujet de la décarbonation, qui sait ? La connaissance sur ce sujet est de plus en plus partagée par de nombreux intervenants de la scène scientifique, économique ou médiatique, et c’est très encourageant. La biodiversité est en train de sortir de son statut de niche réservé aux experts, et la société civile se l’approprie, ce qui me ravit.
La France est le 6e pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées inscrites sur la Liste rouge de l’UICN. Sur plus de 12 500 espèces évaluées en France, plus de 2 700 espèces sont menacées, dont un quart sont des espèces endémiques strictes. Seul un cinquième des habitats et un quart des espèces d’intérêt communautaire sont aujourd’hui dans un état de conservation favorable sur le territoire français.
Source : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/Doc-chapeau-SNB2030-HauteDef.pdf

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