Terra Matters donne un coup d'accélérateur sur la traçabilité circulaire des produits avec le PCDS (Product Circularity Data Sheet), une carte d'identité pour les produits et leurs composants. La société luxembourgeoise vise à promouvoir un nouveau standard pour valoriser la circularité dans les chaînes de valeur des produits. Compatibles pour toutes les industries, hors agroalimentaire, l'innovation est alignée avec les exigences règlementaires à venir dont le passeport numérique des produits (DPP).

Rencontre avec Jérôme Dierickx, managing director chez Terra Matters.
Fervent défenseur du developpement durable, Jérôme Dierickx s’engage activement dans la promotion de l’économie circulaire en prenant la direction de Terra Matters, après un parcours dans des start-ups, des multinationales et des organismes publics.
Pourquoi avoir lancé Terra Matters ?
Les prémices du PCDS (Product Circularity Data Sheet ou « fiche de données de circularité des produits ») remontent à 2018. À cette époque, le Luxembourg avait déjà engagé une dynamique autour de l’économie circulaire et cherchait à définir sa stratégie nationale. Après avoir fait le constat qu’un langage universel entre les intervenants sur les sujets liés à l’économie circulaire faisait clairement défaut, l’opportunité de créer un type de document standardisé, avec un langage commun pour faciliter les coopérations dans ces chaînes de valeur a été identifiée.
Une trentaine d’acteurs ont collaboré à l’ébauche d’une première fiche de données circulaires des produits pour finalement aboutir au PCDS qui a été achevée en 2020. Suite à cela, deux initiatives ont été lancées. La première était de donner de la crédibilité à cette fiche de données en en faisant une norme ISO. Ce processus a commencé en 2021 avec le lancement officiel de l’initiative auprès du Technical Committee responsable des normes ISO 59.000, aboutissant à l’ISO 59.040, en collaboration avec l’AFNOR et l’ILNAS au Luxembourg. La norme est devenue officielle début février 2025.
En parallèle, le ministère de l’Économie a compris qu’il fallait une entité pour porter cette norme ISO vers les marchés. Terra Matters a donc été créé en décembre 2022 avec pour objectif de prendre cette norme ISO, de la rendre opérationnelle, de la démocratiser et d’en assurer une adoption de masse. La force du PCDS c’est sa transversalité, tant au niveau du vocabulaire que des définitions. Il s’agit d’un document interopérable et horizontal, applicable à tout produit fabriqué industriellement.
Quel type d’entreprises ciblez vous en priorité ?
Dans un premier temps, Terra Matters s’adresse aux entreprises issus des secteurs de la construction, et du textile en priorité. Des premiers projets PCDS ont déjà été menés dans ces secteurs. Mais en réalité, le PCDS s’adresse à toutes les industries, en dehors de l’agroalimentaire, à partir du moment où il y a un produit et des processus industriels. Des PCDS ont été réalisés pour des tags RFID ou la métallurgie par exemple.
Quelle est la méthodologie pour établir une « fiche de données de circularité des produits » (PCDS) ?
À ce stade, la méthodologie PCDS est un document auto déclaratif, très simple à utiliser, avec une série de déclarations qui attendent des réponses vrai ou faux. Son point fort réside dans une standardisation poussée : toutes les déclarations ont un référentiel unique, toujours identique, quel que soit le produit. Le PCDS sera uniquement auto déclaratif jusqu’à la fin de l’année 2025. Cependant à terme, nous souhaitons également proposer des PCDS validés par des organismes de certification qui viendront vérifier les éléments de preuve derrière les déclarations. Dans tous les cas, les PCDS auto déclaratifs coexisteront avec les PCDS vérifiés. Les PCDS « vérifiés » bénéficieront simplement d’un niveau de confiance renforcé.
Il faut bien retenir que le PCDS n’est pas un produit de traçabilité, mais la carte d’identité, la photographie du produit du point de vue du fabricant. Le PCDS décrit comment le produit a été conçu dans un objectif de circularité, en suivant la logique de cycle de vie. Dans un premier temps, le fabricant identifie le produit, le site de production, et la société qui s’en est chargé. Ensuite, il décrit comment le produit a été conçu, si des matériaux recyclés ou réutilisés ont été utilisés, et si oui, dans quelle proportion. Il décrit aussi l’utilisation d’énergie renouvelable. En phase d’utilisation, le fabricant explique comment allonger la durée de vie du produit, grâce à la réparation ou à la maintenance par exemple. Enfin, il s’intéresse à la fin de vie du produit : est-il recyclable, compostable, démontable ? S’il est recyclable, des systèmes de récupération ont-ils été prévus ? Le PCDS s’intéresse exclusivement à la circularité d’un produit, depuis sa conception jusqu’à sa fin de vie.
« Le PCDS n’est pas un produit de traçabilité, mais la carte d’identité,
la photographie du produit du point de vue du fabricant. »
Le PCDS attribue-t-il des notes aux solutions ?
Le PCDS c’est un document déclaratif, une fiche d’identité, une photographie complète des propriétés circulaires d’un produit. En aucun cas il s’agit d’attribuer une note ou un grade aux entreprises partenaires, ce n’est pas notre mission. Notre rôle se limite à fournir un document standardisé. Ensuite chacun est libre de prendre en main cet outil pour le transformer et créer de la valeur ajoutée autour du PCDS. Quand les usages de l’outil nous échapperont, ce sera un signal que la mission de Terra Matters aura été accompli avec succès ! D’ailleurs des usages que nous n’avons pas du tout anticipés pourraient émerger.
Quel est le principal argument pour convaincre un partenaire industriel d’intégrer le PCDS dans sa boîte à outil ?
En fonction des cibles visées, on peut présenter plusieurs points différenciants.
Tout d’abord, pour les fabricants, nous rappelons que le PCDS donne une photographie précise et complète de leur produit d’un point de vue de l’économie circulaire ; avec la robustesse de la norme ISO. C’est une première étape pour favoriser les efforts vers l’écoconception avec l’objectif final de rendre chaque produit plus vertueux.
Le deuxième point concerne le procurement : certains partenaires s’intéressent au PCDS avec le prisme des achats. En effet, engager des achats responsables qui intègrent des propriétés circulaires identifiées peut se révéler complexe. C’est le cas par exemple dans l’industrie de la construction, en partie par manque de définitions claires et d’indicateurs préalablement définis. Avec la norme ISO, nous apportons un document clair, irréfutable. A terme, des sociétés pourront exiger des PCDS pour des produits sélectionnés dans un processus d’achat ou pour des appels d’offres. Ces produits afficheront certains critères de circularité, comme la recyclabilité ou la réparabilité, en faisant référence à la norme ISO.
Enfin, il y a les consultants qui réalisent des EPD (Environmental Product Declarations) ou des analyses de cycle de vie. Le PCDS enrichit leur offre d’accompagnement. Ils peuvent faire des propositions d’écoconception, offrant ainsi un package plus complet à leurs clients.
Les plateformes produits constituent une autre cible. Elles se développent fortement, notamment sous l’impulsion des passeports numérique produits (alias DPP « Digital Product Passport ») qui seront déployés en Europe à partir de 2027. Le PCDS peut être vu comme un facilitateur pour la conception des passeports numérique produit. Le DPP devra fournir une grande masse de données, au-delà de la circularité. Le PCDS, qui répond à une norme ISO, pourra être référent sur le sujet de la circularité, avec des données standardisées et fiables.
Le PCDS pourra donc alimenter le DPP (passeport numérique produit) ?
Oui, le PCDS est clairement bien positionné pour accompagner cette exigence des passeports produits. Même si le contenu des passeports numériques produits n’est pas encore exactement connu, il est clair que le PCDS s’intègrera parfaitement pour le volet circularité.
Vos interlocuteurs ne sont-ils pas déjà saturés par les exigences normes ?
Il faut reconnaître qu’il n’est pas toujours facile de transmettre notre vision. Terra Matters est souvent associé aux contraintes, aux normes, à la réglementation. En réalité le PCDS doit d’abord être vu comme un outil qui facilite le travail des équipes sur ces sujets, notamment les DPP pour lesquels la collecte d’informations se révèle vraiment complexe. Pour une entreprise qui ne sait pas comment aborder le sujet DPP, le PCDS – une solution neutre, solide, fondée sur une norme ISO, – doit être perçu comme une première étape accessible. Pour les chaînes de valeur de manière générale, la collecte de données et le transfert d’informations entre les différents acteurs reste très fastidieuse. Terra Matters propose de faciliter la vie des entreprises sur le chemin complexe des normes. Voilà l’ambition du PCDS.
« Terra Matters présente un profil hybride, entre start-up et organisme public, avec la mission de renforcer l’intégration de l’économie circulaire dans les entreprises, »
Sur quels territoires voulez-vous faire exister ce standard?
Pour nos deux cibles principales, la construction et le textile, nous visons une présence à l’échelle européenne. Actuellement nous travaillons avec des partenaires au Benelux, en France et en Allemagne. Nous souhaitons positionner le PCDS comme un standard européen.
Terra Matters est un objet assez inédit dans l’univers des start ups. Quel est son statut ?
C’est vrai ! Terra Matters présente un profil hybride, entre start-up et organisme public, avec la mission de renforcer l’intégration de l’économie circulaire dans les entreprises, de façon tangible et opérationnelle. A travers notre gouvernance et notre actionnariat, nous veillons à être perçus comme un organisme servant l’intérêt général, qui ne subit pas la pression d’un marché ou d’actionnaires. La mission de Terra Matters consiste simplement à diffuser et démocratiser le PCDS. Nous cherchons à rendre notre solution très accessible, le prix ne doit pas être un frein à l’adoption. Notre premier abonnement permettant de créer et consulter des PCDS est gratuit. Des abonnements plus élaborés à 250€ et 1.000€ par an permettent de bénéficier de fonctionnalités API, de massifier la création de PCDS pour des gammes de produits ou de créer des PCDS pour le compte de ses clients.
Quelles sont vos derniers développements technologiques ?
Nous sommes conscients que la plateforme reste encore jeune. Pour être complètement pertinentes pour les grosses entreprises, certaines fonctionnalités doivent être ajoutées, comme l’intégration avec les ERP ou des fonctionnalités intégrées dans les stratégies d’achat et de procurement. Le sujet des passeports produits et des données vérifiées constitue également des attentes fortes des grosses organisations. Ce sont des priorités de développement qui vont prendre encore un peu de temps. Du côté des réalisations, nous avons déjà quelques belles références. Au Luxembourg, un accord de partenariat a été signé avec les Chemins de Fer Luxembourgeois (CFL) pour la partie achats dans le domaine de la construction, par exemple.
Qu’est-ce qui vous anime dans ce sujet de l’économie circulaire au sens large ?
L’économie circulaire est une thématique aussi ancienne que l’économie elle-même. A titre personnel, la philosophie de prolonger la durée de vie des produits et des matériaux m’a toujours passionné. La thématique environnementale me tient à cœur ; j’ai besoin de savoir que mon travail au quotidien participe à cet effort collectif. On passe beaucoup de temps dans son travail ; autant en faire quelque chose d’utile !
Favoriser l’économie circulaire, cela signifie travailler sur la résilience de nos modèles économiques. J’ai la conviction que ces approches circulaires nous permettront, nous Européens, d’être plus compétitifs, plus robustes. Je crois qu’on peut créer de la valeur différemment.
La fiche de données de circularité des produits (ou Product Circularity Data Sheet, PCDS, en anglais) est une norme internationale (ISO 59040) qui fournit un cadre structuré pour la communication et l’échange de données de circularité des produits dans un format transparent, standardisé et lisible par machine. La PCDS vise à faciliter la transition vers une économie circulaire en permettant aux entreprises de communiquer des données fiables et comparables sur les propriétés circulaires de leurs produits.

Image by Fotor (c)